Le retour de l’inflation (2ème partie)

Le retour de l’inflation (2ème partie)

La question d’un éventuel retour de l’inflation est tout aussi déterminante que complexe. Notre auteur pour la circonstance, Gérard MAZZIOTTA, particulièrement qualifié sur le sujet (cf. 1ère partie), s’est avéré très loquace.

Pour une meilleure lisibilité, nous avons décidé de couper son texte en 3 parties. Nous vous livrons ici la 2ème.

La question est donc « faut-il craindre ce retour de l’inflation et si oui quelles en seraient les conséquences ? ».

Nous vivons depuis plusieurs années dans un monde sans inflation avec le paradoxe d’une action des banques centrales, dont la mission est de lutter contre cette inflation, faisant tout pour la réveiller. En effet, trop d’inflation est nuisible car elle fausse les anticipations économiques et privilégie les activités spéculatives au détriment des activités productives mais trop peu d’inflation est également néfaste. Une inflation modérée permet une allocation des ressources économiques plus rationnelle, grâce à une adaptation de la structure des prix et des salaires. Elle permet une redistribution entre les agents économiques, entre ceux qui investissent et ceux qui détiennent du capital. Enfin elle facilite l’action de la politique monétaire. D’où cette illusion des banques centrales d’avoir jugulé l’inflation tout en étant incapables aujourd’hui de la faire remonter. Ce n’est pas la politique monétaire qui a réduit l’inflation mais la formidable pression sur les prix du pétrole à partir de 2008 et l’émergence du pétrole de schiste américain conjuguée à la pression sur les prix des produits manufacturés impulsée par « l’atelier chinois ».

Nous comprenons qu’aujourd’hui deux arguments militent en sens inverse concernant ce retour de l’inflation :

  • Les prix du pétrole se sont effondrés mais est-ce une tendance durable ? S’ils repartaient très fort à la hausse nous aurions à coup sûr une inflation importée ;
  • Les prix des produits chinois continueront à peser sur les prix. Cependant, le phénomène général de relocalisation se traduira inévitablement par une forte hausse des prix de production dans tous les secteurs considérés comme stratégiques par les pays consommateurs (la santé, l’agroalimentaire, les nouvelles technologies du numérique, etc…) où il suffit qu’un maillon de la chaine soit contrôlé par l’industrie chinoise pour que la chaine de valeur se bloque. Une illustration triviale en a été donnée par le débat sur les masques. Nous avons un système de santé très sophistiqué mais sans masque -pourtant produit à faible valeur ajoutée- il est inopérant. Il n’y a guère que l’industrie textile qui pourra continuer à jouer la carte de la mondialisation. Un secteur où la relocalisation conjuguée à l’évolution sociétale pourra jouer fortement sur les hausses de prix est celui des produits agricoles. Les agriculteurs prendront conscience, au sortir de la crise, qu’ils détiennent une rente et qu’ils peuvent l’exploiter en s’affranchissant des circuits de distribution qui se sont depuis 50 ans accaparés cette rente.

Dans ces conditions une hausse des prix et donc de l’inflation n’est-elle pas une conséquence inéluctable ?

Rien n’est moins sûr. Un autre facteur entre en compte. Outre le facteur psychologique d’anticipation par les agents économiques, intervient la pression que peuvent exercer les consommateurs pour aligner la progression de leur pouvoir d’achat sur l’évolution des prix et enclencher ainsi une spirale inflationniste. Or nous avons constaté dans la période d’avant crise aux USA que malgré le plein emploi les revendications salariales restaient modérées démentant la fameuse courbe de Phillips. Les salariés n’étaient pas clairement en position de force et le haut niveau de chômage au sortir de la crise, que cela soit aux Etats-Unis ou en Europe, va exercer encore plus fortement une pression sur les salaires creusant encore plus les inégalités avec les risques sociaux que cela comporte. Mais cela maintiendra le couvercle sur la marmite inflationniste.

Un autre argument est cependant invoqué en faveur d’un retour de l’inflation, c’est celui du poids insupportable de la dette pour bon nombre d’Etats. C’est la question « qui va payer l’addition ? ». Face à cette dette il y a trois manières de s’en sortir :

  • Annuler la dette : la BCE pourrait annuler la dette des Etats qu’elle a en portefeuille ou la transformer en dette perpétuelle. Cela suppose un consensus qui sera difficile à réunir. L’idée des « coronabonds » va un peu dans ce sens et sauverait le système européen d’un éclatement qui résulterait d’un défaut de paiement (de l’Italie par exemple).
  • Lever un impôt exceptionnel à l’image de ce qui s’est souvent pratiqué après les guerres.
  • Laisser l’inflation faire « le job » en procédant à ce que Keynes appelait « l’euthanasie des rentiers », notion souvent interprétée de manière trop restrictive mais qui aujourd’hui prend tout son sens.   

En ce sens, l’inflation serait une manière de « remettre les compteurs à zéro » en effaçant en douceur les dettes des Etat. La difficulté est qu’aujourd’hui, plus qu’à l’époque de Keynes, les économies sont ouvertes, que la dette publique est détenue à plus de 50 % par des investisseurs non-nationaux et que la rente est plus le résultat d’un capital financier facilement délocalisable que d’un capital détenu sous forme de bons du Trésor à taux fixes ! Les rentes pourraient ainsi « s’accrocher » à l’inflation et se maintenir alors que, dans le même temps, tous les effets pervers de l’inflation seraient à l’œuvre.

La question de l’inflation est donc une question complexe qui va se poser non pas à court terme, la politique monétaire maintenant des taux bas, mais à moyen terme car elle peut sembler apporter une réponse simple au surendettement des Etats.

Elle risque de faire irruption dans nos économies et de perturber le redémarrage attendu avec une dégradation du pouvoir d’achat des ménages et une constitution d’épargne stérile (or, œuvres d’art…). L’idée qu’il faudra bien un jour payer la facture des dépenses engagées aujourd’hui va clairement dans le sens d’une accélération de l’inflation. Espérons cependant que les Etats et la BCE réussiront, dans la zone euro, à mettre en place des mécanismes plus « softs » afin d’éviter que le remède ne soit pas pire que le mal.

Auteur : Gérard MAZZIOTTA (VALETYS)

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